L'origine du mot Surréalisme


 À l'occasion du centenaire de la publication du Manifeste du Surréalisme d'André Breton et de la sortie du catalogue que nous consacrons aux auteurs surréalistes (Accès au catalogue), revenons sur ce mot qui est maintenant passé dans le langage courant : Surréaliste.

Si André Breton est le pape du courant surréaliste, c'est Apollinaire qui forge le mot en 1917.

Le substantif « surréalisme » apparaît pour la première fois en mars 1917 dans une lettre d'Apollinaire à Paul Dermée : 

" Tout bien examiné, je crois en effet qu'il vaut mieux adopter surréalisme que surnaturalisme que j'avais d'abord employé. Le mot “surréalisme” n'existe pas encore dans les dictionnaires, et il sera plus commode à manier que surnaturalisme déjà employé par MM. les Philosophes."

Le poète hésite alors entre "drame surréaliste" et "drame surnaturaliste" pour qualifier les Mamelles de Tiresias alors sur sa table de travail. Craignant la confusion entre "surnaturel" et "surnaturaliste", il tranche pour "surréaliste".

Le mot s'essaie encore lors de la création de Parade en mai 1917. Ce spectacle sous-titré "ballet réaliste" est écrit par Jean Cocteau, sur une musique d'Erik Satie, chorégraphié par Léonide Massine et scénographié par Pablo Picasso. 

Apollinaire, dans la note du programme qu'il rédige pour la troupe, qualifie alors ce spectacle de 

« sur-réaliste ». Le mot est composé, mais un tiret s'intercale encore.

C'est finalement dans la préface des Mamelles de Tirésias, pièce dont le livret ne sera publié qu'en 1918, qu'Apollinaire fait imprimer pour la première fois le mot "Surréaliste" dans sa forme définitive. 

La représentation de la pièce, créée le 24 juin 1917, déclencha une véritable « bataille d'Hernani » lors de sa première.

L'histoire met en scène Thérèse, qui réalise une transition de genre pour gagner du pouvoir parmi les hommes. L'auteur s'est inspiré du mythe du devin aveugle de Thèbes, Tirésias, tout en lui appliquant des thématiques modernes et provocatrices : le féminisme et l'antimilitarisme.

Apollinaire explique son néologisme dans la préface : 

"Pour caractériser mon drame, je me suis servi d'un néologisme qu'on me pardonnera car cela m'arrive rarement et j'ai forgé l'adjectif surréaliste qui ne signifie pas du tout symbolique [...]"

Le mot sera victime de sa popularité, et on n'hésite désormais plus à qualifier de surréaliste le premier fait un peu bizarre ou inhabituel. Assez loin de la volonté d'Apollinaire et de la catégorisation assez précise que définira André Breton dans son Manifeste en 1924 . 



La Théorie quantitative de la monnaie ou l'inflation expliquée à la BCE

 Fin septembre la BCE (Banque centrale européenne) annonçait qu'elle allait faire appel à l'intelligence artificielle pour comprendre les origines de l'inflation et utiliser les réseaux neuronaux en silicium pour mieux communiquer avec les citoyens européens et rendre son discours "plus facile à comprendre pour le public".

Tampon ancien retrouvé sur un livre des années 1920

Plongés que nous sommes dans l'histoire des sciences et des idées, nous ne pourrions que conseiller à la BCE de lire quelques uns de nos livres, qui dans un langage tout à fait compréhensible par des neurones biologiques, permettent d'appréhender comment l'inflation fonctionne.

L'inflation fut un problème qui préoccupa les sociétés de tous temps. Les temps modernes se souviendront notamment de la crise inflationniste du seizième siècle : entre 1500 et 1600 la hausse des prix fut de 400%.

Elle fut à l'origine d'un débat intellectuel, animé notamment par Bodin, pour comprendre "l'extrême cherté des choses". Nous savons maintenant que cette crise était due à l'abondance d'or et d'argent en provenance des colonies américaines. L'Eldorado américain avait fait gonfler le prix du pain européen.

Discours sur les causes de l'extrême cherté, 1574
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On retrouve en fait déjà dans les textes de  Malestroit , Bodin , du Haillan tous les termes de la Théorie quantitative de la monnaie telle qu'elle sera formalisée en 1910 par Fisher (MV=PY) qui met en relation le niveau des prix avec la quantité d'argent échangée et la production de ressources.


Première édition en français de la formalisation de la Théorie quantitative de la monnaie par Irving Fisher
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Conséquence pratique de cette théorie, plus la masse monétaire globale augmente, en décorrélation de la production de biens, plus la valeur intrinsèque de cette monnaie baisse.

Fort de ces informations, je soumet donc à la sagacité de vos neurones biologiques les trois courbes suivantes : 



Evolution de la masse monétaire de l'OCDE



Evolution du PIB de l'OCDE



INSEE : indice des prix à la consommation 2000-2021


Quelles conclusions en tirez-vous ? 

S.V.

Cours de méthode scientifique avec Urbain Le Verrier

 Comment fonctionne la Science ? On peut sans doute résumer l'acquisition des connaissances scientifiques par un constant aller-retour entre l'hypothèse et l'observation du réel.

Une observation discordante amène le scientifique à revoir son hypothèse première pour en reformuler une seconde et observer sa concordance avec le réel. Inversement une hypothèse discordante avec l'observation peut amener le scientifique à réviser son observation du réel.

Si hypothèses et observations du réel se superposent on parle alors de connaissance.

Cela définit ainsi les deux outils méthodologiques dont dispose le scientifique (tels que les décrit très bien Etienne Klein dans ses interventions) : 

L'approche législative, qui consiste à changer la loi (l'hypothèse, l'équation...) pour coller à l'observation

L'approche ontologique, qui consiste à mieux observer pour coller à l'hypothèse.

La carrière d'Urbain Le Verrier (1811-1877) permet de très bien illustrer ces deux approches. Mathématicien français, astronome et spécialiste de mécanique céleste, il reste célèbre pour avoir découvert par la force du calcul l'existence de Neptune.



La planète Uranus, découverte par William Herschel en 1781, présentait en effet des irrégularités par rapport à l'orbite qu'elle aurait dû avoir suivant la loi de la gravitation universelle d'Isaac Newton. Le Verrier postule que ces irrégularités peuvent être provoquées par une autre planète, encore jamais observée. Solution ontologique devant une discordance entre hypothèse et observation !

Encouragé par François Arago, Le Verrier se lance en 1844 dans le calcul des caractéristiques de cette nouvelle planète (masse, orbite, position), dont il communiquera les résultats à l'Académie des Sciences le 31 août 1846.

Johann Galle, observa le nouvel astre le jour même où il reçut sa position à 5 degrés près par un courrier de Le Verrier. 

Concordance entre réel et hypothèse : Neptune devient la 8ème planète du système solaire. 

Mercure est une autre planète dont les légères perturbations de l'orbite  ne collaient pas aux équations newtoniennes. Le décalage des périhélies de Mercure  (43 secondes d'arc par siècle !) posera en effet des problèmes aux astronomes pendant tous le XIXème siècle. 

Le Verrier disposant d'un bon marteau méthodologique voulut renouveler l'exploit de Neptune. Armé de sa plume il émit l'hypothèse d'une petite planète plus proche encore du Soleil que Mercure, et qui venait perturber la trajectoire de celle-ci. On lui trouva un nom : Vulcain.

Le Verrier tança tous les astronomes de son temps pour qu'ils recherchent cette fameuse planète manquante, mais personne ne confirma l'hypothèse du mathématicien. 

La solution vint bien plus tard, par la révolution législative que fut la Relativité générale. En effet les équations d'Einstein viennent bouleverser l'équilibre Newtonien du système solaire et en 1915 Einstein démontre par le calcul que l'hypothèse Vulcain n'est plus nécessaire. Les équations sont dorénavant en accord avec le réel : solution législative.


Aujourd'hui les astronomes sont confrontés à un autre gigantesque conflit entre équations  et observations cosmologiques. En effet si nous conservons les lois actuelles de la gravitation il manquerait beaucoup de matière à l'Univers observable pour expliquer son comportement (mais vraiment beaucoup !). On est très loin des 43" par siècle de Mercure, il nous manque 95% de l'Univers !

Certains penchant pour la solution ontologique, l'hypothèse "Neptune", explique ceci par l'existence d'une matière et d'une énergie noire dont nous ne connaissons rien si ce n'est son effet observable sur la matière "traditionnelle". D'autres travaillent sur une révolution législative...

Qui résoudra cette discordance entre observation et équation ? La découverte de la nature de la matière noire ou l'élaboration d'un nouveau système d'équation ? 


L'Ile mystérieuse d'Ernest Legouvé (Partie I)

Dans son excellent livre "Tour du Monde des Terres françaises oubliées" (editions du Trésor, 2014) Bruno Fuligni raconte : 

" au faîte de sa gloire éphémère, [Ernest Legouvé] a inspiré à un armateur éperdu d'admiration l'idée de donner son nom à un solide vaisseau d'acier; et c'est le capitaine de ce navire qui, en 1902, très à l'est de la Nouvelle-Zélande, très loin au sud de la Polynésie, dans une portion du Pacifique Sud tout particulièrement dépourvue de terres fermes, signalera un mystérieux rocher auquel s'attachera le souvenir de son embarcation. [...] Cette découverte, hélas, s'est révélées aussi incertaine, traitresse et labile que la notoriété du grand homme de lettres: à peine reportée sur les cartes martines, par 35°12' de latitude Sud et 150°35' de longitude Ouest, le récif Ernest-Legouvé disparait de l'horizon."

"La disparition d'Ernest-Legouvé a ceci de troublant, et pour tout dire d'agaçant, que les coordonnées géogaphiques du récif coïncident à peu près avec celles de Tabor, l'ultime refuge du capitaine Nemo dans L'Ile mystérieuse. Or, Ernest Légouvé connaissait et appréciait Jules Verne, qu'il encouragea dans ses tentatives pour entrer à l'Académie française. De sorte qu'on en viendrait volontiers à se demander si, avec la complicitié d'un armateur et d'un capitaine, les géographes n'ont pas été tout simplement victimes d'un canular littéraire pour le moins magistral..."

Histoire fascinante, mystère irrésolu, et énigme pour bibliophile, voilà qui mérite que l'on s'attarde un peu sur la question du récif Ernest-Legouvé.

D'abord, quelle est cet armateur si "éperdu d'admiration" pour Ernest Legouvé qu'il donna le nom de l'académicien à un de ses bateaux ? Il est curieux que son nom ne soit mentionné nulle part quand on raconte l'histoire de ce récif.

Le Ernest Légouvé est un voilier Cap-Hornier, fier trois mats de 3000 tonneaux qui fut armé à Nantes sur les Chantiers de la Loire en février 1901. Fleuron de la marine marchande les voiliers Cap-Hornier étaient destinés au transport de marchandises entre l'Europe et le Pacifique. Ils passaient régulièrement les trois caps du Sud : Le Cap Horn, Le Cap de Bonne espérance et le Cap Leeuwin.



Sa coque est en acier, sa longueur de 84m pour 12,21m de large emportant un équipage de 24 personnes. L'armateur est la société NCG Nantes, NCG pour Norbert et Claude Guillon.

Il fit 10 voyages pour cette compagnie puis fut ensuite vendu en 1913 à la Société Nouvelle d'Armement en vue de servir l'armée française pendant la première guerre mondiale. Il fut torpillé en avril 1917 près de l'ile Wight dans la Manche par le sous-marin allemand UB32.

La famille Guillon est une des plus grande famille d'armateur de Nantes, si les vernistes connaissent ce nom c'est parce que la soeur benjamine de Jules Verne, Marie-Sophie Verne épouse en 1861 Léon Guillon lui aussi armateur. Leurs deux fils Norbert et Claude Guillon(-Verne), n'échappent pas à la destinée familliale et fondent leur société d'armateurs en 1901.

Ainsi les armateurs "éperdus d'admiration" pour Ernest Légouvé ne sont autres que les neveux de Jules Verne...

(A suivre)



Les Ex libris de Talleyrand

 Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord dit Talleyrand, est homme qui ne laisse pas indifférent. Honnis par certains, pour sa versatilité confinant parfois à la traitrise. D'autres admirent chez le diable boiteux l'habile diplomate ayant lutté pour préserver la paix en Europe.

Premier-né de la grande famille Talleyrand-Périgord il est orienté vers le clergé à cause de son pied-bot, laissant son droit d'ainesse à son frère cadet Archambaud.

Il est nommé évêque d'Autun en 1788 et entre dans la vie politique de la France sous la Révolution en devenant député pour les états généraux. Il y épouse la cause révolutionnaire et devient membre de la Constituante puis l'un des seuls évêques constitutionnels. 

Sentant le vent révolutionnaire se transformer en tempête Talleyrand sera opportunément à Londres durant les évènements de septembre et échappe ainsi à la Terreur. Il ne reviendra en France que sous le Directoire pour devenir ministre des relations extérieures. Il se lie alors d'amitié avec le jeune général Bonaparte.

Troisième temps de sa carrière politique, Bonaparte devenu premier consul, Talleyrand devient son diplomate auprès des cours européennes.

En 1803, Napoléon encourage vivement Talleyrand à acquérir et rénover le domaine de Valençay pour y faire un lieu de discussion pour les diplomates européens. De lieu diplomatique, Valençay devient geôle royale quand le roi d'Espagne Ferdinand VII y est maintenu en exil de 1808 à 1813 jusqu'à la signature du Traité de Valençay.

Dans une "Notice sur Valençay" (Crapelet, 1848) la duchesse de Dino décrira les collections rassemblées à Valençay et notamment l'immense bibliothèque qui y était proposeé aux hôtes. Selon la duchesse c'est plus de 15000 volumes qui composaient cette bibliothèque.

Aux archives départementales de l'Indre sont conservés sous la côte 109 J 65-69 5 volumes manuscrits du Catalogue de la bibliothèque du château de Valençay qui regroupent 3600 entrées répartis par thématiques : Théologie et Jurisprudence, Sciences et arts, Belles lettres, Histoire

Cette bibliothèque fut dispersée d'abord à la fin du XIXème siècle lors de la succession du duc de Talleyrand avec une vente cataloguée en 1899. Le catalogue de vente recensait 332 lots catalogués et 6000 volumes vendus en manettes

Les vestiges de cette grande bibliothèque furent ensuite vendus peu à peu au cours du XXème siècle par les propriétaires successifs de Valençay.

La bibliothèque de Talleyrand à Valençay fait donc partie de ces grandes bibliothèques aujourd'hui disparues dont il nous reste que des catalogues parcellaires. 

Seuls les ex libris encore présents dans les livres permettent à coup sûr d'attribuer des volumes à cette collection. 

Parmi les marques laissées lors de leur passage à Valençay nous avons pu rencontrer dans nos dernières acquisitions les suivantes :

- Un tampon humide bleu : Bibliothèque de Valençay



- L'ex libris de Talleyrand avec la devise Talleyrand-Perigord "Re que Diou" :

Un exlibris que l'on peut sans doute dater de 1814, on y voit le grand cordon de la légion d'honneur (remis à Talleyrand en 1806), l'ordre de la Toison d'or (remis à Talleyrand en 1814), et les clés papales qui font référence à la principauté de Bénévent ancienne possession papale et offerte à Talleyrand de 1806 à 1814.  

- L'ex libris "Bibliothèque du Chateau de Valençay" 


Les Armoiries sont modifiées, la légion d'honneur institution napoléoniènne a disparue et  la couronne princière cède le pas à la couronne ducale (Talleyrand n'est plus Prince de Bénévent mais Duc de Talleyrand). 

- Où l'on voit que le premier précède le second, exemple de recouvrement chronologique d'ex libris :



Mise à jour du 16/06/2023 : Nous avons consacré un petit catalogue pdf à la bibliothèque de Talleyrand à Valençay que vous pourrez télécharger en cliquant sur ce lien: