La Disgrace des Jésuites

La question de la Grâce est bien au centre du débat qui opposent les Jésuites de la Compagnie de Jésus aux Jansénistes pendant plus d’un siècle.

Pour les premiers, la Grâce divine assurant le salut de leurs âmes est accordée aux Hommes en fonction de leurs actions. Les Hommes connaissent le Bien et le Mal depuis le péché originel, disposent de leur libre arbitre pour croquer dans la pomme ou non, et Dieu les condamnent ou non à la Damnation en fonction de leurs choix.

Pour les Jansénistes, c’est amoindrir le pouvoir de Dieu que de penser que les actions des Hommes dictent les décisions divines. La Grâce est accordée par Dieu en fonction de ses propres voies impénétrables, les Hommes ne pouvant que se conformer à leur prédestination.

Le Jansénisme nait au début du XVIIème siècle sous la plume de Jansenius qui écrit son Augustinius, discussion autour de la pensée de St Augustin, en réponse au Concile de Trente qui sous la poussée de la toute jeune Compagnie de Jésus réaffirme le principe du Libre-arbitre.

La question de la Grâce n’est pas seulement une question théologique, si l’Homme est prédestiné à faire le Mal, ne peut faire le Bien que par intervention divine, alors comment peut fonctionner la Justice humaine ? La Justice ne peut s’exercer, la culpabilité être établie, que si le fait a été commis délibérément : « C’est pas ma faute, m’sieur le juge ! C’est Dieu qui m’a pas donné sa grâce ! »

Cette idée se répand peu à peu dans les cours de justice françaises dans la seconde moitié du XVIIème siècle et le pouvoir central prend peur. Sans justice, le pouvoir s’écroule. Le règne de Louis XIV sera donc celui de la persécution du mouvement janséniste, jusqu’à la destruction de l’Abbaye de Port Royal (haut lieu janséniste) en 1709.

La Compagnie de Jésus, fondée par Ignace de Loyola en 1534, et approuvée par bulle papale en 1540 juste avant le Concile de Trente, a toujours été plus habile pour se rapprocher des pouvoirs centraux. Le principe de libre-arbitre accompagnant l’exercice de la monarchie absolue. C’est justement cette proximité qu’ils vont payer dans la seconde moitié du XVIIIème lorsque le pouvoir monarchique cental commence à être contesté.

Tout débute en Martinique, colonie française depuis 1635, le père jésuite Antoine Lavalette y est envoyé pour assurer la direction de la mission jésuite de l’île. Arrivé sur place en 1741, il y trouve une mission en déliquescence et pour remonter les finances de sa mission, il monte plusieurs projets commerciaux. Mais le père Lavalette joue de malchance, il emprunte pour acheter des terres et faire commerce de cannes à sucre mais une épidémie décime ses ouvriers (probablement esclaves), les pirates anglais lui attaquent ses bateaux et la guerre de Sept ans finit de mettre à mal ses affaires. Il fait faillite et laisse des dettes colossales chez deux négociants Marseillais,les sieurs Lioncy et Gouffre.

Ceux ci obtinrent justice auprès du tribunal d'Aix, qui condamna l’ordre de payer les dettes son missionnaire imprudent. La Compagnie de Jésus, refuse cette condamnation et fait appel auprès du Parlement de Paris, la plus haute juridiction de l’ancien régime.

Une bien mauvaise décision, le Parlement de Paris s’organise petit à petit en contre-pouvoir de la monarchie absolu et est imprégné des idées jansénistes.

Nous sommes en 1761, c’est l’occasion pour les jansénistes de prendre leur revanche.

L’affaire fait grand bruit, devient nationale le Parlement de Paris en profite pour demander à l’ordre des Jésuites de soumettre leurs Constitutions (les dispositions légales internes) et examine la littérature jésuite.Le 6 août 1761, le parlement de Paris ordonne que les écrits de 23 jésuites, soient bannis comme « contraires à la morale et nuisibles à la jeunesse » ce qui entraine la fermeture de tous les collèges jésuites.

C’est alors un déferlement de publications acrimonieuses qui sont imprimées au cours des années 1761 et 1762 pour enterrer la Compagnie de Jésus.

La bête immonde est expulsée de France


Le roi prend parti pour les jésuites mais Louis XV est en fin de règne, en pleine guerre de Sept ans, le monarchisme absolu est affaibli par les Lumières et le Parlement se veut un contre-pouvoir. Il prononce le 6 août 1762, que la Compagnie de Jésus « nuit à l’ordre civil, viole la loi naturelle, détruit la religion et la moralité, corrompt la jeunesse » et la bannit de France.

En , Louis XV est obligé de prendre un édit royal prononçant l’expulsion et le pape Clément XIV dissoudra l’ordre en 1773.

Les jansénistes ont gagné la partie...pour l’instant.

40 ans plus tard que l’ordre des jésuites sera restauré par le pape Pie VII, après les guerres napoléoniennes, le climat politique a changé, les princes sont devenus contre-révolutionnaires et le courant jansénistes s’est entre temps épuisé dans sa participation à la Révolution française.


Le Bicentenaire de l’Ecole des chartes

 


En 2021, la célèbre Ecole nationale des chartes fêtera son bicentenaire. Ecole d'excellence depuis 1821, elle forme les cadres de la conservation du patrimoine, principalement écrit (archives et bibliothèques), des chercheurs et des enseignants-chercheurs dans le domaine des sciences historiques et philologiques.

Pour fêter ses deux siècles d’existence, l’école a démarré un cycle de conférences et de publications qui s’étalera sur toute l’année 2021. Vous pourrez en trouver le programme ici : http://www.chartes.psl.eu/fr/programme-du-bicentenaire

C’est la publication d’un livre qui a ouvert le bal en novembre dernier : « L’École nationale des chartes, deux cents ans au service de l’Histoire » ouvrage dirigé par Jean-Charles Bédague, Michelle Bubenicek et Olivier Poncet, qui peut être acheté ici : http://www.chartes.psl.eu/fr/publication/ecole-nationale-des-chartes.

Louis XVIII crée l’école par une ordonnance du 22 février 1821, suite à une initiative de l’Académie des belles lettres avec pour mission de former à la conservation des archives. La Révolution française avait vidée les bibliothèques (parfois pluri-centenaires) des châteaux seigneuriaux. C’est la sortie des bibliothèques familiales, de manuscrits et documents médiévaux qui nourrira le goût des romantiques du xixème siècle pour le moyen-âge. L’école des chartes répond donc à la fois à la nécessité de conservation de tous ces documents qui circulaient alors, et au goût de l’époque.

Parmi les chartistes célèbres on peut citer les noms de Gabriel Hanotaux, Louis Martin-Chauffier, Roger Martin du Gard, Georges Bataille, François Mauriac…et Michel Pastoureau.

Michel Pastoureau, dont on ne présente plus l’œuvre (qui est à consommer sans modération !), a ouvert le cycle de conférence la semaine dernière en racontant son année 1969 à la présidente actuelle de l’école ici : https://youtu.be/rDmgix1q-eo

En clin d’œil à son Bestiaire du Moyen-âge (publié au Seuil) nous avons rassemblé en une seule image pêle-mêle le bestiaire qui habitait les marges d’un manuscrit enluminé du XVème siècle qui a fait partie de notre dernier catalogue Eric Zink (VI, 6) et dont vous pouvez retrouver la fiche ici : https://www.livresanciens.com/index.php?livre=3532

Si le sujet vous intéresse vous pouvez aussi écouter le cycle d’émissions consacré à l’histoire des animaux qu’enregistra Michel Pastoureau pour France culture : https://www.franceculture.fr/emissions/les-animaux-ont-aussi-leur-histoire

Damase Jouaust, éditeur des bibliophiles


Nous avons récemment catalogué une bibliothèque issue des descendants de la famille de Damase Jouaust, certains exemplaires portent encore un papillon laissé par le relieur adressant sa commande à M. Jouaust. Vous trouverez une partie de ces livres dans notre sélection du moment sur la page d’accueil de LivresAnciens.com.

Le travail d'édition et d'impression de Damase Jouaust à la fin du XIXème siècle fut remarquable et les ouvrages de la "librairie des bibliophiles" restent toujours une excellente porte d'entrée en bibliophilie.

Damase Jouaust succède à son père en 1866 à la tête de l’imprimerie familiale. L’imprimerie travaille alors pour les grands éditeurs de l’époque tels Lemerre. Mais Damase veut aller plus loin et fonde en 1869 la librairie des bibliophiles.

« Il voulut publier des livres qui soient en même temps de véritables objets d’art. Pour ce faire, il fit graver de nouveaux caractères elzéviriens, employa des fleurons et des lettres ornées, pour donner plus de clarté aux divisions d’un ouvrage, et du papier vergé ou papier à la forme, pour lui assurer une durée illimitée. Il agrémenta ses publications par la gravure à l’eau-forte, la préférant à la gravure sur bois, bien que moins coûteuse, et à la gravure au burin, dont le prix était presque inabordable pour les éditeur »

Malgré un succès d’estime parmi les bibliophiles et les professionnels du livres, Jouaust aura du mal à trouver son équilibre économique et finit par jeter l’éponge.

« Damase Jouaust quitta les affaires par lassitude et par découragement. Le goût des beaux livres, qu’il exécutait à tant de frais, et qu’il était obligé de vendre très cher, était un peu passé de mode, en raison surtout du resserrement de la bourse des amateurs. Le 1er octobre 1891, il céda, à un prix dérisoire, son fonds d’éditeur à Ernest Flammarion (1846-1936), éditeur 26 rue Racine [VIe], près l’Odéon. »

Sans doute épuisé et d’un caractère qui ne tenait que par sa passion maintenant éteinte, il meurt en 1893 à 58 ans.

130 ans plus tard, il nous reste ses livres qui sont sans doute ce qui se fait toujours de plus agréable pour lire les grands classiques.

Pour ce billet nous avons largement emprunté au travail de Jean Paul Fontaine publié sur son blog histoire de la bibliophilie : https://histoire-bibliophilie.blogspot.com/2020/05/damase-jouaust-1834-1893-lediteur-des.html

Le Tome III des Gardiens de Bibliopolis vient tout juste de sortir des presses et peut être commandé chez l’éditeur Hexaedre en suivant le lien suivant :

https://www.hexaedre.fr/crbst_78.html

Des Géants


Hier soir la Cité des Sciences et de l’industrie diffusait une conférence d’Albert Beckers, endocrinologue au CHU de Liège sur « Le gigantisme humain ».

Vous pouvez voir la rediffusion de cette conférence sur youtube en suivant le lien suivant :

https://youtu.be/SKpFHxi8fG0

Les Géants peuplaient les mythologies dans, à peu près, toutes les cultures. On se souvient des Géants du nord qui seront libérés lors du Ragnarok pour détruire les hommes. Les Géants grecs, fils de Gaïa, qui affronteront les Dieux lors des gigantomachies. Le géant Goliath abattu par le petit David.

Petit à petit on glisse de la Mythologie à la Connaissance avec notamment Pline l’Ancien qui, dans son histoire naturelle, rapporte le cas du colosse Gabbar mesurant 6 pieds et 6 pouces (2,97m).

A sa suite les Géants seront classés pendant des siècles dans les monstres humains comme chez Fortunio Liceti. Monstres certes, mais humains, ce qui est un changement radical dans l’histoire des Géants.

 https://www.livresanciens.com/index.php?livre=896

Dans le même temps, Galilée propose une célèbre démonstration de l’inexistence des géants mythologiques (et anthropomorphes) par la Science. La masse d’un individu évoluant en L³ et la résistance de ses jambes en L², les Géants s’effondreraient sur eux-mêmes.

C’est désormais la Science et la Médecine qui s’occuperont des Géants ils seront bientôt appelés acromégales après la description du syndrome par Pierre Marie à la fin du XIXème siècle.

C’est une hypertrophie de l’hypophyse, plus précisément un adénome hypophysaire qui est responsable de l’acromégalie. Mais la cause première est à chercher dans les gènes et c’est là que vous emmène Albert Beckers.

Descartes avait il la bosse de maths ?

 


L’origine du génie humain a toujours passionné les médecins et scientifiques. Lorsqu’on a cessé de convoquer les muses ou la grâce divine pour l’expliquer il fallait bien trouver une explication matérielle au fait que certains soit brillants et d’autres non.

Très tôt on a placé le siège de la pensée dans le cerveau, et à la fin du XVIIIème siècle on en connaissait assez bien l’anatomie. Notamment avec les travaux de Félix Vicq d’Azyr (https://www.livresanciens.com/index.php?livre=3270), mais il restait alors, comme pour le reste du corps humain, à lier l’organe à la fonction. C’était, comme nous l’avons vu dans un précédent article avec Bichat, l’affaire principale du début du XIXème siècle.

Comment cet amas gélatineux de vaisseaux pouvait peindre la Joconde et résoudre des équations polynomiales ?

La première tentative de lier des structures du cerveau à des capacités particulières fut proposée par Franz Josef Gall (1758-1828) et la pseudo-science qu’il fonda : la phrénologie (https://www.livresanciens.com/index.php?livre=100817 ).

On pensait alors que la boite crânienne, lors de l’embryogénèse et du développement de l’enfant, s’adaptait aux volumes et formes du cerveau. Si tel était le cas alors on pouvait en palpant le crane des gens déterminer si telle ou telle zone du cerveau était particulièrement développée.

Et en liant les palpations aux habilités particulières des individus palpés, Gall pouvait construire une carte fonctionnelle du cerveau. (cf. Claude Renner, Quelques propos autour de la phrénologie, HISTOIRE DES SCIENCES MEDICALES - TOME XLV - N° 3 – 2011)

La phrénologie s’est d’autant mieux développée dans les salons du XIXème siècle qu’elle scientifisait une croyance répandue depuis l’antiquité qui liait la forme du visage et du crâne au caractère. On retrouve des propos sur la physiognonomie déjà chez Pythagore et Hippocrate, et à la fin du XVIIIème siècle les beaux livres de Lavater en firent à nouveau la promotion ( https://www.livresanciens.com/index.php?livre=100651) .

On dirait aujourd’hui que l’opinion publique était prête à accepter l’idée de Gall. Mais si la phrénologie eut un succès populaire mondial, à tel point qu’elle nous laisse l’expression courante « la bosse des maths », elle fut assez vite dénoncée par la communauté scientifique.

Aujourd’hui la phrénologie est laissée aux mains des rebouteux et autres cabinets de voyance…Vraiment ? Pas si sûr !

Vous avez peut-être vu récemment un documentaire du service public (Science grand format) dans lequel Philippe Charlier, célèbre paléopathologiste, narrait les travaux menés par son équipe en 2017 sur le crâne de Descartes et publiés dans le Journal of the Neurological Sciences (IF=3,115) :

Charlier et al. , The brain of René Descartes (1650): A neuro-anatomical analysis, Journal of the Neurological Sciences, VOLUME 378, P12-18, JULY 15, 2017 (https://www.jns-journal.com/article/S0022-510X(17)30265-4/fulltext)

Dans cette publication les auteurs ont soumis le crâne de René Descartes, actuellement conservé au Musée de l’Homme (https://www.museedelhomme.fr/fr/musee/collections/crane-descartes-3853) à un CT-Scan 3D.

Ce scanner tridimensionnel a permis de relever l’empreinte laissée par les formes du cerveau de Descartes à l’intérieur de sa boite crânienne et d’imprimer en 3D ce cerveau qui avait beaucoup cogité.

Comme Gall palpant les crânes, l’équipe de Charlier s’est alors attelé à déceler si le cerveau de Descartes avait des particularités expliquant son intelligence.

Leur conclusion est que semble t il la bosse du cogito se situe dans la partie antérieure de l’aire de Broca (aire de Brodmann 45). Cette partie du cerveau est particulièrement développée sur le cerveau de Descartes. Si on se réfère à la définition neuro-fonctionnelle de cette aire on lit : « Cette région est par exemple active lors de décision sémantique (déterminer si un mot représente une entité abstraite ou concrète) ou dans des tâches de production (générer un verbe associé à un substantif). »

Nous avons vu la semaine dernière avec un cas clinique spectaculaire que la forme du cerveau n’avait rien à voir avec les capacités cognitives. Le cerveau n’est pas un muscle, ce n’est pas parce qu’il est gros qu’il est plus puissant. Mais ça n’a pas empêché cette équipe de conclure dans leur papier que ce cerveau relevait d’une intelligence particulière cohérente avec la biographie de l’auteur… Gall en saute de joie dans sa tombe !

Descartes avait donc une aire de Broca particulièrement développée, mais qu’est-ce que l’aire de Broca ? C’est une aventure passionnante de l’histoire des sciences que nous aborderons la semaine prochaine !