La Théorie quantitative de la monnaie ou l'inflation expliquée à la BCE

 Fin septembre la BCE (Banque centrale européenne) annonçait qu'elle allait faire appel à l'intelligence artificielle pour comprendre les origines de l'inflation et utiliser les réseaux neuronaux en silicium pour mieux communiquer avec les citoyens européens et rendre son discours "plus facile à comprendre pour le public".

Tampon ancien retrouvé sur un livre des années 1920

Plongés que nous sommes dans l'histoire des sciences et des idées, nous ne pourrions que conseiller à la BCE de lire quelques uns de nos livres, qui dans un langage tout à fait compréhensible par des neurones biologiques, permettent d'appréhender comment l'inflation fonctionne.

L'inflation fut un problème qui préoccupa les sociétés de tous temps. Les temps modernes se souviendront notamment de la crise inflationniste du seizième siècle : entre 1500 et 1600 la hausse des prix fut de 400%.

Elle fut à l'origine d'un débat intellectuel, animé notamment par Bodin, pour comprendre "l'extrême cherté des choses". Nous savons maintenant que cette crise était due à l'abondance d'or et d'argent en provenance des colonies américaines. L'Eldorado américain avait fait gonfler le prix du pain européen.

Discours sur les causes de l'extrême cherté, 1574
Voir la fiche complète
 


On retrouve en fait déjà dans les textes de  Malestroit , Bodin , du Haillan tous les termes de la Théorie quantitative de la monnaie telle qu'elle sera formalisée en 1910 par Fisher (MV=PY) qui met en relation le niveau des prix avec la quantité d'argent échangée et la production de ressources.


Première édition en français de la formalisation de la Théorie quantitative de la monnaie par Irving Fisher
Voir la fiche complète

Conséquence pratique de cette théorie, plus la masse monétaire globale augmente, en décorrélation de la production de biens, plus la valeur intrinsèque de cette monnaie baisse.

Fort de ces informations, je soumet donc à la sagacité de vos neurones biologiques les trois courbes suivantes : 



Evolution de la masse monétaire de l'OCDE



Evolution du PIB de l'OCDE



INSEE : indice des prix à la consommation 2000-2021


Quelles conclusions en tirez-vous ? 

S.V.

Cours de méthode scientifique avec Urbain Le Verrier

 Comment fonctionne la Science ? On peut sans doute résumer l'acquisition des connaissances scientifiques par un constant aller-retour entre l'hypothèse et l'observation du réel.

Une observation discordante amène le scientifique à revoir son hypothèse première pour en reformuler une seconde et observer sa concordance avec le réel. Inversement une hypothèse discordante avec l'observation peut amener le scientifique à réviser son observation du réel.

Si hypothèses et observations du réel se superposent on parle alors de connaissance.

Cela définit ainsi les deux outils méthodologiques dont dispose le scientifique (tels que les décrit très bien Etienne Klein dans ses interventions) : 

L'approche législative, qui consiste à changer la loi (l'hypothèse, l'équation...) pour coller à l'observation

L'approche ontologique, qui consiste à mieux observer pour coller à l'hypothèse.

La carrière d'Urbain Le Verrier (1811-1877) permet de très bien illustrer ces deux approches. Mathématicien français, astronome et spécialiste de mécanique céleste, il reste célèbre pour avoir découvert par la force du calcul l'existence de Neptune.



La planète Uranus, découverte par William Herschel en 1781, présentait en effet des irrégularités par rapport à l'orbite qu'elle aurait dû avoir suivant la loi de la gravitation universelle d'Isaac Newton. Le Verrier postule que ces irrégularités peuvent être provoquées par une autre planète, encore jamais observée. Solution ontologique devant une discordance entre hypothèse et observation !

Encouragé par François Arago, Le Verrier se lance en 1844 dans le calcul des caractéristiques de cette nouvelle planète (masse, orbite, position), dont il communiquera les résultats à l'Académie des Sciences le 31 août 1846.

Johann Galle, observa le nouvel astre le jour même où il reçut sa position à 5 degrés près par un courrier de Le Verrier. 

Concordance entre réel et hypothèse : Neptune devient la 8ème planète du système solaire. 

Mercure est une autre planète dont les légères perturbations de l'orbite  ne collaient pas aux équations newtoniennes. Le décalage des périhélies de Mercure  (43 secondes d'arc par siècle !) posera en effet des problèmes aux astronomes pendant tous le XIXème siècle. 

Le Verrier disposant d'un bon marteau méthodologique voulut renouveler l'exploit de Neptune. Armé de sa plume il émit l'hypothèse d'une petite planète plus proche encore du Soleil que Mercure, et qui venait perturber la trajectoire de celle-ci. On lui trouva un nom : Vulcain.

Le Verrier tança tous les astronomes de son temps pour qu'ils recherchent cette fameuse planète manquante, mais personne ne confirma l'hypothèse du mathématicien. 

La solution vint bien plus tard, par la révolution législative que fut la Relativité générale. En effet les équations d'Einstein viennent bouleverser l'équilibre Newtonien du système solaire et en 1915 Einstein démontre par le calcul que l'hypothèse Vulcain n'est plus nécessaire. Les équations sont dorénavant en accord avec le réel : solution législative.


Aujourd'hui les astronomes sont confrontés à un autre gigantesque conflit entre équations  et observations cosmologiques. En effet si nous conservons les lois actuelles de la gravitation il manquerait beaucoup de matière à l'Univers observable pour expliquer son comportement (mais vraiment beaucoup !). On est très loin des 43" par siècle de Mercure, il nous manque 95% de l'Univers !

Certains penchant pour la solution ontologique, l'hypothèse "Neptune", explique ceci par l'existence d'une matière et d'une énergie noire dont nous ne connaissons rien si ce n'est son effet observable sur la matière "traditionnelle". D'autres travaillent sur une révolution législative...

Qui résoudra cette discordance entre observation et équation ? La découverte de la nature de la matière noire ou l'élaboration d'un nouveau système d'équation ? 


L'Ile mystérieuse d'Ernest Legouvé (Partie I)

Dans son excellent livre "Tour du Monde des Terres françaises oubliées" (editions du Trésor, 2014) Bruno Fuligni raconte : 

" au faîte de sa gloire éphémère, [Ernest Legouvé] a inspiré à un armateur éperdu d'admiration l'idée de donner son nom à un solide vaisseau d'acier; et c'est le capitaine de ce navire qui, en 1902, très à l'est de la Nouvelle-Zélande, très loin au sud de la Polynésie, dans une portion du Pacifique Sud tout particulièrement dépourvue de terres fermes, signalera un mystérieux rocher auquel s'attachera le souvenir de son embarcation. [...] Cette découverte, hélas, s'est révélées aussi incertaine, traitresse et labile que la notoriété du grand homme de lettres: à peine reportée sur les cartes martines, par 35°12' de latitude Sud et 150°35' de longitude Ouest, le récif Ernest-Legouvé disparait de l'horizon."

"La disparition d'Ernest-Legouvé a ceci de troublant, et pour tout dire d'agaçant, que les coordonnées géogaphiques du récif coïncident à peu près avec celles de Tabor, l'ultime refuge du capitaine Nemo dans L'Ile mystérieuse. Or, Ernest Légouvé connaissait et appréciait Jules Verne, qu'il encouragea dans ses tentatives pour entrer à l'Académie française. De sorte qu'on en viendrait volontiers à se demander si, avec la complicitié d'un armateur et d'un capitaine, les géographes n'ont pas été tout simplement victimes d'un canular littéraire pour le moins magistral..."

Histoire fascinante, mystère irrésolu, et énigme pour bibliophile, voilà qui mérite que l'on s'attarde un peu sur la question du récif Ernest-Legouvé.

D'abord, quelle est cet armateur si "éperdu d'admiration" pour Ernest Legouvé qu'il donna le nom de l'académicien à un de ses bateaux ? Il est curieux que son nom ne soit mentionné nulle part quand on raconte l'histoire de ce récif.

Le Ernest Légouvé est un voilier Cap-Hornier, fier trois mats de 3000 tonneaux qui fut armé à Nantes sur les Chantiers de la Loire en février 1901. Fleuron de la marine marchande les voiliers Cap-Hornier étaient destinés au transport de marchandises entre l'Europe et le Pacifique. Ils passaient régulièrement les trois caps du Sud : Le Cap Horn, Le Cap de Bonne espérance et le Cap Leeuwin.



Sa coque est en acier, sa longueur de 84m pour 12,21m de large emportant un équipage de 24 personnes. L'armateur est la société NCG Nantes, NCG pour Norbert et Claude Guillon.

Il fit 10 voyages pour cette compagnie puis fut ensuite vendu en 1913 à la Société Nouvelle d'Armement en vue de servir l'armée française pendant la première guerre mondiale. Il fut torpillé en avril 1917 près de l'ile Wight dans la Manche par le sous-marin allemand UB32.

La famille Guillon est une des plus grande famille d'armateur de Nantes, si les vernistes connaissent ce nom c'est parce que la soeur benjamine de Jules Verne, Marie-Sophie Verne épouse en 1861 Léon Guillon lui aussi armateur. Leurs deux fils Norbert et Claude Guillon(-Verne), n'échappent pas à la destinée familliale et fondent leur société d'armateurs en 1901.

Ainsi les armateurs "éperdus d'admiration" pour Ernest Légouvé ne sont autres que les neveux de Jules Verne...

(A suivre)



Les Ex libris de Talleyrand

 Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord dit Talleyrand, est homme qui ne laisse pas indifférent. Honnis par certains, pour sa versatilité confinant parfois à la traitrise. D'autres admirent chez le diable boiteux l'habile diplomate ayant lutté pour préserver la paix en Europe.

Premier-né de la grande famille Talleyrand-Périgord il est orienté vers le clergé à cause de son pied-bot, laissant son droit d'ainesse à son frère cadet Archambaud.

Il est nommé évêque d'Autun en 1788 et entre dans la vie politique de la France sous la Révolution en devenant député pour les états généraux. Il y épouse la cause révolutionnaire et devient membre de la Constituante puis l'un des seuls évêques constitutionnels. 

Sentant le vent révolutionnaire se transformer en tempête Talleyrand sera opportunément à Londres durant les évènements de septembre et échappe ainsi à la Terreur. Il ne reviendra en France que sous le Directoire pour devenir ministre des relations extérieures. Il se lie alors d'amitié avec le jeune général Bonaparte.

Troisième temps de sa carrière politique, Bonaparte devenu premier consul, Talleyrand devient son diplomate auprès des cours européennes.

En 1803, Napoléon encourage vivement Talleyrand à acquérir et rénover le domaine de Valençay pour y faire un lieu de discussion pour les diplomates européens. De lieu diplomatique, Valençay devient geôle royale quand le roi d'Espagne Ferdinand VII y est maintenu en exil de 1808 à 1813 jusqu'à la signature du Traité de Valençay.

Dans une "Notice sur Valençay" (Crapelet, 1848) la duchesse de Dino décrira les collections rassemblées à Valençay et notamment l'immense bibliothèque qui y était proposeé aux hôtes. Selon la duchesse c'est plus de 15000 volumes qui composaient cette bibliothèque.

Aux archives départementales de l'Indre sont conservés sous la côte 109 J 65-69 5 volumes manuscrits du Catalogue de la bibliothèque du château de Valençay qui regroupent 3600 entrées répartis par thématiques : Théologie et Jurisprudence, Sciences et arts, Belles lettres, Histoire

Cette bibliothèque fut dispersée d'abord à la fin du XIXème siècle lors de la succession du duc de Talleyrand avec une vente cataloguée en 1899. Le catalogue de vente recensait 332 lots catalogués et 6000 volumes vendus en manettes

Les vestiges de cette grande bibliothèque furent ensuite vendus peu à peu au cours du XXème siècle par les propriétaires successifs de Valençay.

La bibliothèque de Talleyrand à Valençay fait donc partie de ces grandes bibliothèques aujourd'hui disparues dont il nous reste que des catalogues parcellaires. 

Seuls les ex libris encore présents dans les livres permettent à coup sûr d'attribuer des volumes à cette collection. 

Parmi les marques laissées lors de leur passage à Valençay nous avons pu rencontrer dans nos dernières acquisitions les suivantes :

- Un tampon humide bleu : Bibliothèque de Valençay



- L'ex libris de Talleyrand avec la devise Talleyrand-Perigord "Re que Diou" :

Un exlibris que l'on peut sans doute dater de 1814, on y voit le grand cordon de la légion d'honneur (remis à Talleyrand en 1806), l'ordre de la Toison d'or (remis à Talleyrand en 1814), et les clés papales qui font référence à la principauté de Bénévent ancienne possession papale et offerte à Talleyrand de 1806 à 1814.  

- L'ex libris "Bibliothèque du Chateau de Valençay" 


Les Armoiries sont modifiées, la légion d'honneur institution napoléoniènne a disparue et  la couronne princière cède le pas à la couronne ducale (Talleyrand n'est plus Prince de Bénévent mais Duc de Talleyrand). 

- Où l'on voit que le premier précède le second, exemple de recouvrement chronologique d'ex libris :



Mise à jour du 16/06/2023 : Nous avons consacré un petit catalogue pdf à la bibliothèque de Talleyrand à Valençay que vous pourrez télécharger en cliquant sur ce lien:

La Disgrace des Jésuites

La question de la Grâce est bien au centre du débat qui opposent les Jésuites de la Compagnie de Jésus aux Jansénistes pendant plus d’un siècle.

Pour les premiers, la Grâce divine assurant le salut de leurs âmes est accordée aux Hommes en fonction de leurs actions. Les Hommes connaissent le Bien et le Mal depuis le péché originel, disposent de leur libre arbitre pour croquer dans la pomme ou non, et Dieu les condamnent ou non à la Damnation en fonction de leurs choix.

Pour les Jansénistes, c’est amoindrir le pouvoir de Dieu que de penser que les actions des Hommes dictent les décisions divines. La Grâce est accordée par Dieu en fonction de ses propres voies impénétrables, les Hommes ne pouvant que se conformer à leur prédestination.

Le Jansénisme nait au début du XVIIème siècle sous la plume de Jansenius qui écrit son Augustinius, discussion autour de la pensée de St Augustin, en réponse au Concile de Trente qui sous la poussée de la toute jeune Compagnie de Jésus réaffirme le principe du Libre-arbitre.

La question de la Grâce n’est pas seulement une question théologique, si l’Homme est prédestiné à faire le Mal, ne peut faire le Bien que par intervention divine, alors comment peut fonctionner la Justice humaine ? La Justice ne peut s’exercer, la culpabilité être établie, que si le fait a été commis délibérément : « C’est pas ma faute, m’sieur le juge ! C’est Dieu qui m’a pas donné sa grâce ! »

Cette idée se répand peu à peu dans les cours de justice françaises dans la seconde moitié du XVIIème siècle et le pouvoir central prend peur. Sans justice, le pouvoir s’écroule. Le règne de Louis XIV sera donc celui de la persécution du mouvement janséniste, jusqu’à la destruction de l’Abbaye de Port Royal (haut lieu janséniste) en 1709.

La Compagnie de Jésus, fondée par Ignace de Loyola en 1534, et approuvée par bulle papale en 1540 juste avant le Concile de Trente, a toujours été plus habile pour se rapprocher des pouvoirs centraux. Le principe de libre-arbitre accompagnant l’exercice de la monarchie absolue. C’est justement cette proximité qu’ils vont payer dans la seconde moitié du XVIIIème lorsque le pouvoir monarchique central commence à être contesté.

Tout débute en Martinique, colonie française depuis 1635, le père jésuite Antoine Lavalette y est envoyé pour assurer la direction de la mission jésuite de l’île. Arrivé sur place en 1741, il y trouve une mission en déliquescence et pour remonter les finances de sa mission, il monte plusieurs projets commerciaux. Mais le père Lavalette joue de malchance, il emprunte pour acheter des terres et faire commerce de cannes à sucre mais une épidémie décime ses ouvriers (probablement esclaves), les pirates anglais lui attaquent ses bateaux et la guerre de Sept ans finit de mettre à mal ses affaires. Il fait faillite et laisse des dettes colossales chez deux négociants Marseillais,les sieurs Lioncy et Gouffre.

Ceux ci obtinrent justice auprès du tribunal d'Aix, qui condamna l’ordre de payer les dettes son missionnaire imprudent. La Compagnie de Jésus, refuse cette condamnation et fait appel auprès du Parlement de Paris, la plus haute juridiction de l’ancien régime.

Une bien mauvaise décision, le Parlement de Paris s’organise petit à petit en contre-pouvoir de la monarchie absolu et est imprégné des idées jansénistes.

Nous sommes en 1761, c’est l’occasion pour les jansénistes de prendre leur revanche.

L’affaire fait grand bruit, devient nationale le Parlement de Paris en profite pour demander à l’ordre des Jésuites de soumettre leurs Constitutions (les dispositions légales internes) et examine la littérature jésuite.Le 6 août 1761, le parlement de Paris ordonne que les écrits de 23 jésuites, soient bannis comme « contraires à la morale et nuisibles à la jeunesse » ce qui entraine la fermeture de tous les collèges jésuites.

C’est alors un déferlement de publications acrimonieuses qui sont imprimées au cours des années 1761 et 1762 pour enterrer la Compagnie de Jésus.

La bête immonde est expulsée de France


Le roi prend parti pour les jésuites mais Louis XV est en fin de règne, en pleine guerre de Sept ans, le monarchisme absolu est affaibli par les Lumières et le Parlement se veut un contre-pouvoir. Il prononce le 6 août 1762, que la Compagnie de Jésus « nuit à l’ordre civil, viole la loi naturelle, détruit la religion et la moralité, corrompt la jeunesse » et la bannit de France.

En , Louis XV est obligé de prendre un édit royal prononçant l’expulsion et le pape Clément XIV dissoudra l’ordre en 1773.

Les jansénistes ont gagné la partie...pour l’instant.

40 ans plus tard que l’ordre des jésuites sera restauré par le pape Pie VII, après les guerres napoléoniennes, le climat politique a changé, les princes sont devenus contre-révolutionnaires et le courant jansénistes s’est entre temps épuisé dans sa participation à la Révolution française.