Dans son excellent livre "Tour du Monde des Terres françaises oubliées" (editions du Trésor, 2014) Bruno Fuligni raconte :
" au faîte de sa gloire éphémère, [Ernest Legouvé] a inspiré à un armateur éperdu d'admiration l'idée de donner son nom à un solide vaisseau d'acier; et c'est le capitaine de ce navire qui, en 1902, très à l'est de la Nouvelle-Zélande, très loin au sud de la Polynésie, dans une portion du Pacifique Sud tout particulièrement dépourvue de terres fermes, signalera un mystérieux rocher auquel s'attachera le souvenir de son embarcation. [...] Cette découverte, hélas, s'est révélées aussi incertaine, traitresse et labile que la notoriété du grand homme de lettres: à peine reportée sur les cartes martines, par 35°12' de latitude Sud et 150°35' de longitude Ouest, le récif Ernest-Legouvé disparait de l'horizon."
"La disparition d'Ernest-Legouvé a ceci de troublant, et pour tout dire d'agaçant, que les coordonnées géogaphiques du récif coïncident à peu près avec celles de Tabor, l'ultime refuge du capitaine Nemo dans L'Ile mystérieuse. Or, Ernest Légouvé connaissait et appréciait Jules Verne, qu'il encouragea dans ses tentatives pour entrer à l'Académie française. De sorte qu'on en viendrait volontiers à se demander si, avec la complicitié d'un armateur et d'un capitaine, les géographes n'ont pas été tout simplement victimes d'un canular littéraire pour le moins magistral..."
Histoire fascinante, mystère irrésolu, et énigme pour bibliophile, voilà qui mérite que l'on s'attarde un peu sur la question du récif Ernest-Legouvé.
D'abord, quelle est cet armateur si "éperdu d'admiration" pour Ernest Legouvé qu'il donna le nom de l'académicien à un de ses bateaux ? Il est curieux que son nom ne soit mentionné nulle part quand on raconte l'histoire de ce récif.
Le Ernest Légouvé est un voilier Cap-Hornier, fier trois mats de 3000 tonneaux qui fut armé à Nantes sur les Chantiers de la Loire en février 1901. Fleuron de la marine marchande les voiliers Cap-Hornier étaient destinés au transport de marchandises entre l'Europe et le Pacifique. Ils passaient régulièrement les trois caps du Sud : Le Cap Horn, Le Cap de Bonne espérance et le Cap Leeuwin.
Sa coque est en acier, sa longueur de 84m pour 12,21m de large emportant un équipage de 24 personnes. L'armateur est la société NCG Nantes, NCG pour Norbert et Claude Guillon.
Il fit 10 voyages pour cette compagnie puis fut ensuite vendu en 1913 à la Société Nouvelle d'Armement en vue de servir l'armée française pendant la première guerre mondiale. Il fut torpillé en avril 1917 près de l'ile Wight dans la Manche par le sous-marin allemand UB32.
La famille Guillon est une des plus grande famille d'armateur de Nantes, si les vernistes connaissent ce nom c'est parce que la soeur benjamine de Jules Verne, Marie-Sophie Verne épouse en 1861 Léon Guillon lui aussi armateur. Leurs deux fils Norbert et Claude Guillon(-Verne), n'échappent pas à la destinée familliale et fondent leur société d'armateurs en 1901.
Ainsi les armateurs "éperdus d'admiration" pour Ernest Légouvé ne sont autres que les neveux de Jules Verne...
(A suivre)