Descartes avait il la bosse de maths ?

 


L’origine du génie humain a toujours passionné les médecins et scientifiques. Lorsqu’on a cessé de convoquer les muses ou la grâce divine pour l’expliquer il fallait bien trouver une explication matérielle au fait que certains soit brillants et d’autres non.

Très tôt on a placé le siège de la pensée dans le cerveau, et à la fin du XVIIIème siècle on en connaissait assez bien l’anatomie. Notamment avec les travaux de Félix Vicq d’Azyr (https://www.livresanciens.com/index.php?livre=3270), mais il restait alors, comme pour le reste du corps humain, à lier l’organe à la fonction. C’était, comme nous l’avons vu dans un précédent article avec Bichat, l’affaire principale du début du XIXème siècle.

Comment cet amas gélatineux de vaisseaux pouvait peindre la Joconde et résoudre des équations polynomiales ?

La première tentative de lier des structures du cerveau à des capacités particulières fut proposée par Franz Josef Gall (1758-1828) et la pseudo-science qu’il fonda : la phrénologie (https://www.livresanciens.com/index.php?livre=100817 ).

On pensait alors que la boite crânienne, lors de l’embryogénèse et du développement de l’enfant, s’adaptait aux volumes et formes du cerveau. Si tel était le cas alors on pouvait en palpant le crane des gens déterminer si telle ou telle zone du cerveau était particulièrement développée.

Et en liant les palpations aux habilités particulières des individus palpés, Gall pouvait construire une carte fonctionnelle du cerveau. (cf. Claude Renner, Quelques propos autour de la phrénologie, HISTOIRE DES SCIENCES MEDICALES - TOME XLV - N° 3 – 2011)

La phrénologie s’est d’autant mieux développée dans les salons du XIXème siècle qu’elle scientifisait une croyance répandue depuis l’antiquité qui liait la forme du visage et du crâne au caractère. On retrouve des propos sur la physiognonomie déjà chez Pythagore et Hippocrate, et à la fin du XVIIIème siècle les beaux livres de Lavater en firent à nouveau la promotion ( https://www.livresanciens.com/index.php?livre=100651) .

On dirait aujourd’hui que l’opinion publique était prête à accepter l’idée de Gall. Mais si la phrénologie eut un succès populaire mondial, à tel point qu’elle nous laisse l’expression courante « la bosse des maths », elle fut assez vite dénoncée par la communauté scientifique.

Aujourd’hui la phrénologie est laissée aux mains des rebouteux et autres cabinets de voyance…Vraiment ? Pas si sûr !

Vous avez peut-être vu récemment un documentaire du service public (Science grand format) dans lequel Philippe Charlier, célèbre paléopathologiste, narrait les travaux menés par son équipe en 2017 sur le crâne de Descartes et publiés dans le Journal of the Neurological Sciences (IF=3,115) :

Charlier et al. , The brain of René Descartes (1650): A neuro-anatomical analysis, Journal of the Neurological Sciences, VOLUME 378, P12-18, JULY 15, 2017 (https://www.jns-journal.com/article/S0022-510X(17)30265-4/fulltext)

Dans cette publication les auteurs ont soumis le crâne de René Descartes, actuellement conservé au Musée de l’Homme (https://www.museedelhomme.fr/fr/musee/collections/crane-descartes-3853) à un CT-Scan 3D.

Ce scanner tridimensionnel a permis de relever l’empreinte laissée par les formes du cerveau de Descartes à l’intérieur de sa boite crânienne et d’imprimer en 3D ce cerveau qui avait beaucoup cogité.

Comme Gall palpant les crânes, l’équipe de Charlier s’est alors attelé à déceler si le cerveau de Descartes avait des particularités expliquant son intelligence.

Leur conclusion est que semble t il la bosse du cogito se situe dans la partie antérieure de l’aire de Broca (aire de Brodmann 45). Cette partie du cerveau est particulièrement développée sur le cerveau de Descartes. Si on se réfère à la définition neuro-fonctionnelle de cette aire on lit : « Cette région est par exemple active lors de décision sémantique (déterminer si un mot représente une entité abstraite ou concrète) ou dans des tâches de production (générer un verbe associé à un substantif). »

Nous avons vu la semaine dernière avec un cas clinique spectaculaire que la forme du cerveau n’avait rien à voir avec les capacités cognitives. Le cerveau n’est pas un muscle, ce n’est pas parce qu’il est gros qu’il est plus puissant. Mais ça n’a pas empêché cette équipe de conclure dans leur papier que ce cerveau relevait d’une intelligence particulière cohérente avec la biographie de l’auteur… Gall en saute de joie dans sa tombe !

Descartes avait donc une aire de Broca particulièrement développée, mais qu’est-ce que l’aire de Broca ? C’est une aventure passionnante de l’histoire des sciences que nous aborderons la semaine prochaine !