Nos clients privilégiés auront eu la chance de découvrir au n°31 de notre catalogue 6 un texte majeur de l'histoire des sciences,
le Discours de la méthode de René Descartes dans son édition originale de 1637.
Tout le monde connait la sentence
de Descartes « Je pense donc je suis » ou dans sa version latine
« cogito ergo sum », pourtant il est parfois difficile de comprendre
à quel point cette idée est fondamentale dans la construction de la méthode
scientifique moderne.
Etienne Klein aime à raconter lors de ses conférences une anecdote édifiante à propos de Paul Dirac. Je le laisse la raconter ici :
https://www.youtube.com/watch?v=bmZzPLcLAWg
Et pour ceux qui ne seront pas
allés sur Youtube je la résume brièvement. Paul Dirac est sans doute l’un des
mathématiciens les plus talentueux du XXème siècle, il est l’un des pères de la
mécanique quantique et lauréat du prix Nobel de physique en 1933 aux côtés de
Schrödinger. Dirac est quelqu’un de taiseux, aujourd’hui on lui aurait
probablement diagnostiqué une forme légère d’autisme, ce qui rendait les
discussions avec lui laborieuses.
Un jour dans le train avec son
collègue Wolfgang Pauli, ils traversent la campagne anglaise. On imagine les
prairies vertes, les moutons et probablement un ciel gris et pluvieux. Pauli
pour entamer la conversation interpelle Dirac et lui dis « On dirait que
ces moutons ont été fraichement tondus », et Dirac de répondre
« Oui…au moins de ce côté ».
En fait c’est exactement ce dont
nous prévient Descartes dans son Discours de la Méthode. Le monde tel que nous
le voyons n’est qu’interprétation de notre cerveau et si nous voulons
construire une vérité scientifique il faut l’édifier preuve après preuve à
partir d’une base irréfutable. Pauli conclut que les moutons ont été
entièrement tondus alors qu’il n’a pourtant vu que le seul côté exposé à son
regard. Dirac est lui plus prudent, les moutons n’auraient pu être tondus que
d’un seul côté et placés par un paysan fantasque (et un peu vicieux il faut
bien le dire) de telles sortes que seul le côté tondu soit visible depuis le
train. Les deux hypothèses ne sont pas discernables à partir de cette seule
observation, nous pourrions ici aiguiser notre rasoir d’Ockham mais point de
preuve formelle.
Descartes nous dit « Sed est deceptor nescio quis, summe potens,
summe callidus, qui de industriâ me semper fallit... » Il pourrait y avoir
un être trompeur très puissant et malicieux (le paysan anglais vicieux) qui
userait de son art pour tromper perpétuellement notre perception.
Quelqu’un qui comme nous, aurait
le Discours de la Méthode en main pourrait ainsi même rétorquer à Dirac
« Mais Dirac qu’est-ce qui vous fait dire que ce sont des
moutons ? ». Un être très puissant et malicieux aurait pu disposer
des boules de laine dans un champ avec des boutons pour les yeux et notre
cerveau aurait conclu à des moutons.
Sur ce sujet je vous laisse suivre les deux cours donnés sur les Illusions par Richard Monvoisin à l’université de Grenoble :
(et n’oublions pas que le
discours de la méthode vient en introduction des recherches de Descartes en
optique)
Ainsi notre perception du monde
ne peut être considérée comme une preuve suffisamment solide pour « bien
conduire sa raison, & chercher la vérité dans les sciences ».
Par contre si nous nous trompons,
si l’on nous trompe, si nous pensons être trompé…c’est que nous sommes. La
pensée « Je suis, j’existe » est donc nécessairement vraie. C’est
ainsi que Descartes formule le « cogito » en 1637 : « Ego
sum, ego existo… necessario esse verum ». C’est sur cette affirmation qui
est vraie en soi que Descartes pourra construire son raisonnement. Ainsi nait
la méthode scientifique moderne par empilement successifs de preuves sur la
base solide de notre propre existence.